Ce 29 mai 1985, par milliers, des Italiens et des Anglais ont fait le voyage de Bruxelles. Toute la journée, les supporters affluent. Les Italiens sont venus en car ou par le train. Les Anglais ont pris le ferry puis le train ou le car. Et les heures ont été longues avant le match. Ils ont commencé à arriver au stade en fin d’après-midi, comme il est d’usage partout dans le monde…
Un calme trompeur
Des Italiens ont enfilé le maillot rayé noir et blanc de la très respectable Juve. Des Anglais paradent aimablement avec le maillot rouge des « Reds» de Liverpool. En apparence, tout se passe bien. Les services de sécurité ne notent rien de troublant, encore moins d’inquiétant. Pourtant, vingt-cinq minutes avant le coup d’envoi que doit donner l’arbitre suisse, M. Daina, c’est le drame. Depuis plus d’une demi-heure, dans la tribune Z, des supporters anglais lancent des cannettes et des projectiles par-dessus le grillage haut de trois mètres en direction de la tribune où sont rassemblés un grand nombre d’Italiens. Les insultes fusent, le ton monte. La tension est forte, mais les policiers au bord du terrain sont persuadés qu’il s’agit là encore d’un épisode courant de la guerre d’intimidation à laquelle aiment se livrer les supporters.
Des responsables aveugles
La police belge, ce soir-là, a tout faux : en une fraction de seconde, une bande de hooligans anglais se ruent sur le grillage et le font céder. Immédiatement, c’est la panique. Les supporters italiens essaient de résister, puis d’échapper à leurs agresseurs qui les poursuivent avec des barres de fer. Pour quitter au plus vite ce lieu on ne peut plus dangereux, certains Italiens empoignent à pleine main les barbelés fixés au mur d’enceinte. D’autres se dirigent vers le terrain. Là, les gendarmes mobiles les empêchent de passer. Plusieurs, poussés par la foule derrière eux, se blessent sur les pointes des grillages. C’est l’horreur.
Un des murs situés en contrebas cède. Des spectateurs sont écrasés, ceux qui les entourent ne peuvent les secourir puisqu’ils sont poursuivis par les hooligans. Les gendarmes mobiles n’interviennent que quinze minutes après le j •début du drame. Les premiers secours s’organisent au plus j vite. Des policiers montés, des chiens, des unités de l’armée belge arrivent en renfort. Aux abords de la pelouse des tentes sont dressées d’urgence pour accueillir les premiers blessés… Les dirigeants de l’UEFA sont atterrés. Réunis dans un bureau du stade, il décident unanimement que le match doit être joué, sinon l’émeute risque de prendre des proportions encore plus graves. Les télévisions continuent la retransmission en direct et toute l’Europe assiste à la tragédie. C’est l’écœurement.
Une victoire amère
Le match débute avec soixante-quinze minutes de retard. Les deux équipes sont hors du coup. Sur la pelouse, joueurs italiens et anglais entendent plus la ronde des sirènes des ambulances que les coups de sifflet de M. Daina. À la 57e minute, l’arbitre désigne le point de penalty en faveur de la Juventus. Michel Platini trompe le gardien de Liverpool, Bruce Grobbelaar, et marque le but qui assure la victoire de la Juventus.
Ce n’est que le lendemain qu’on apprend le bilan du drame du Heysel : 39 morts et 450 blessés.
Le hooliganisme dans le drame du Heysel
Le hooliganisme n’est pas un phénomène récent. Dans les livres d’histoire du sport, on retrouve des incidents dès 1880 dans le Championnat d’Angleterre ! Mais c’est surtout dans les années 1950 que le phénomène prend sa véritable dimension dans les stades de Grande-Bretagne. Rapidement, il se propage sur le continent, surtout en Belgique et en RFA. Des sociologues constatent même que le football est devenu « l’exutoire de toutes les violences » dans les villes économiquement sinistrées, comme Liverpool. On parle aussi d’« eurohooliganisme », avec des skinheads qui, à Berlin-Est, rêvent de la grande Allemagne, rejettent l’État socialiste et soutiennent le club de la police, le Dynamo. On sait aussi qu’à Budapest des hooligans saccagent des trains; qu’à Kiev la gare est régulièrement un champ de bataille; qu’à Moscou on a dénombré plus de 1 000 arrestations dans les stades… Tout cela, les dirigeants de l’UEFA le savaient, mais ils se sont contentés de lancer un vibrant appel aux supporters en leur interdisant fusées, pétards et feux d’artifice sur les stades…
Tout prévu. Mais voilà, nul n’avait envisagé la légèreté de l’organisation, et encore moins la mise en circulation de faux billets. Très rapidement, quinze personnes sont écrouées, mais aucune n’est accusée d’homicide. Plus tard, grâce aux images de la télévision, des hooligans sont identifiés et la Grande-Bretagne livre 24 supporters à la justice belge. Dans le même temps, l’UEFA exclut les clubs anglais pour cinq ans de toutes les compétitions européennes.
Le 17 octobre 1989 s’ouvre le procès des hooligans à la 485 chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles. Les magistrats étudient les documents vidéo et expliquent qu’ils ne possèdent pas de preuves suffisantes pour inculper les 24 supporters anglais. Le procès traîne en longueur : le verdict tombera cinq ans plus tard. Dix hooligans sont acquittés, quatorze autres condamnés à dix-huit mois de prison ferme. Le capitaine de gendarmerie responsable du stade, absent le soir de la finale : neuf mois de prison avec sursis. Le secrétaire de l’Union de football belge accusé de laxisme : six mois de prison avec sursis. La justice belge justifiera sa relative clémence par ce phénomène des sociétés modernes qu’est le débordement des comportements individuels par la dynamique des foules. La sociologie n’explique pas tout…Et quel est votre avis sur le drame du Heysel…?